mercredi 10 juillet 2013

Ambitions Médiévales : part. 1


La pauvre bête courait le plus rapidement qu’elle le pouvait, mais les chiens à ses trousses ne
manqueraient pas de la rattraper sous peu. Jehan hurla à ses chiens de tenir bon, comme si
ceux-ci pouvaient le comprendre, et éperonna sa monture pour la forcer à aller plus vite.
  - Il est à moi ! Hurla-t-il à ses compagnons de chasse qui acquiescèrent avant de diminuer
l’allure.
Toujours au galop, les chiens aboyant devant lui, il tendit son arc en visant le sanglier qui
courait toujours sans se douter que, dans à peine quelques secondes, il giserait sans vie sur le
sol. Il allait enfin abattre sa proie lorsque celle-ci s’écroula soudainement, une flèche plantée
sur son flanc droit. Jehan poussa un cri de rage et fit trotter sa monture tandis que les chiens se
précipitaient sur le cadavre encore chaud afin de le renifler. L’homme contempla la meute,
reconnaissant plusieurs chiens qui ne lui appartenaient pas, et un éclat de rire non loin de lui
dissipa ses doutes sur le propriétaire.
  - Alors Jehan, toujours aussi rapide à ce que je vois !
Quatre cavaliers à cheval trottinaient vers lui et Jehan reconnu avec colère Gaultier, son demi-frère.
Celui-ci, avec ses soyeux cheveux blonds qui descendaient sur ses épaules et ses grands
yeux bleus, ne ressemblait aucunement à Jehan, qui avait fait couper court sa tignasse brune,
et dont les yeux gris observaient méchamment les nouveaux arrivants qui se gaussaient de lui.
Tandis que le fils légitime du Duc cherchait à se montrer le plus digne de ses origines en se
vêtant toujours convenablement et en étant toujours d’une propreté impeccable, le fils bâtard
du Duc Adrien se plaisait bien dans la négligence et la crasse. Et alors que Gaultier était
admirablement vêtu des couleurs de sa maison, Jehan, quant à lui, était fagoté de vêtements
sombres et sans grande classe.
  - Ce sanglier était à moi ! Dit-il d’une manière qu’il souhaitait calme, mais il lui était
impossible de maintenir l’irritation dans sa voix.
Gaultier le considéra avec un sourire triomphant.
  - Vraiment, pourtant je ne vois pas ton nom écrit dessus ?
Jehan sentit la rage bouillir en lui, mais il se contenta d’esquisser un léger sourire forcé.
  - Il est vrai, rétorqua-t-il. Je te laisse le sanglier, car je sais bien que c’est la seule bête que tu
parviennes à chasser ! Je me garde donc les cerfs, il en foisonne dans ces bois.
Ce fut autour de Gaultier d’afficher un sourire peu convainquant et Jehan se félicita
intérieurement de cette petite victoire. Au moins ne serait-il pas le seul ridiculisé dans cette
histoire.
  - Descends donc de ta monture mon frère, déclara le cavalier blond, causons un peu tous les
deux.
Le bâtard n’avait aucunement envie de parler avec son demi-frère, mais il acquiesça et se
laissa glisser au pied de son étalon noir, rejoignant Gaultier qui l’attendait seul après avoir
demandé à son escorte de les laisser après avoir emmener le sanglier.
  - Où donc est passé ta compagnie ?
  - Contrairement à toi, répondit Jehan d’un ton courroucé, ils m’ont laissé de l’avance afin de
tuer le sanglier. Ils doivent certainement m’attendre tranquillement quelque part.
Gaultier hocha la tête et lui fit signe d’avancer à ses côtés parmi les arbres. Jehan hésita un
moment, se méfiant toujours de son frère aîné avec qui il se battait sans arrêt, puis décida qu’il
n’avait sûrement rien à craindre.
  - De quoi souhaites-tu me parler Gaultier ?
  - De notre père.
Jehan soupira, il se doutait que le mariage de leur père taraudait son demi-frère depuis un long
moment déjà. Le duc Adrien avait à présent atteint la cinquantaine et, las d’être veuf depuis la
mort de sa première épouse il y avait de cela quelques années, il avait décidé de se remarier.
Jehan avait été extrêmement ravi de la mort de Dame Mélisande, la mère de Gaultier.
Naturellement, celle-ci détestait le fils bâtard que son époux avait conçu il y avait vingt-huit
ans de cela avec une roturière et elle n’avait eu de cesse que de le rabaisser et lui mener la vie
dure. Gaultier s’en était rapidement aperçu et, au lieu d’aider son petit frère, avait rapidement
choisi le même chemin que sa mère pour dénigrer à son tour le bâtard. A présent, le duc allait
épouser une très jeune femme de tout juste dix-sept ans. Il n’était pas rare de voir un noble
déjà vieux épouser une jeune demoiselle, aussi Jehan ne se souciait guère de l’âge de sa future
belle-mère. D’ailleurs le jeune homme, bien que guère enchanté par ces noces, ne voyait
aucune objection à faire sur la jeune fiancée qui lui avait paru tout à fait charmante et docile :
ce n’était sûrement pas avec elle qu’il aurait des problème !
  - Je t’écoute.
Gaultier passa la main droite dans ses cheveux longs et donna un coup de pied dans une
souche qui trônait sur le sol.
  - Ce mariage est une très mauvaise chose pour nous. J’imagine que tu t’es déjà interrogé sur
la question et tu n’as certainement pas manqué de remarquer tous les désavantages que cela va
apporter ?
Jehan le considéra sans rien dire, si bien que Gaultier pensa qu’il fallait expliciter.
  - La donzelle est jeune et certainement très fertile, poursuivit-il, il est certain que son ventre
portera de nombreux fruits. Celle-ci, une fois les premiers marmots nés, parviendra
certainement à convaincre père de laisser la jeune marmaille obtenir une partie de l’héritage,
chose que nous ne pouvons permettre.
Jehan secoua la tête et ne put s’empêcher d’éclater de rire.
  - Que nous ne pouvons pas permettre ? Répéta-t-il en riant. Et puis-je savoir à quel parti de
l’héritage puis-je prétendre ? Je ne suis qu’un pauvre bâtard et, quoiqu’il advienne, je
recevrais les miettes de chacun des enfants légitimes de notre père. Je n’ai cure de ce mariage
et je n’ai cure de protéger tes intérêts.
  - Si je reste le seul héritier, les miettes dont tu parles seront bien plus grosses que celles que
tu pourrais récolter si la jeune fiancée de père lui donne des fils. De plus, je ferais en sorte que
ta condition soit des plus admirables, je ne te négligerais pas mon frère !
Un éclat de rire souleva une nouvelle fois la poitrine du bâtard.
  - Ne pas me négliger ? Mais Gaultier, tu n’as jamais su que me considérer avec mépris,
comment pourrai-je croire que tu m’aideras lorsque père sera mort ?
  - Parce que tu restes mon frère.
  - Et cette marmaille qui naîtra de la nouvelle union de père sera aussi de ton sang, tu ferais
bien de t’en souvenir. Aussi, tu resteras l’aîné et recevras les titres de père ainsi que la
majorité de sa fortune, quelques frères ne vont pas diminuer grandement ton héritage déjà
bien conséquent.
  - Cet héritage est à moi, je ne permettrais pas qu’on arrache ce qui me revient de droit !
Vois-tu Jehan, je pense à mes futurs enfants à naître, que feront-ils d’un héritage déjà
morcelé ?!
Le visage de Gaultier était emplis de colère et commençait à prendre une couleur pourpre.
  - Tes enfants ? Se moqua Jehan. Voilà bien dix ans que tu es marié à Clothilde et toujours
aucun héritier. Je doute qu’elle ne te donne des enfants un jour. Elle est peut-être stérile, ou
bien c’est de toi que vient le problème ?
  - Comment oses-tu !?!
Jehan leva les mains en l’air avec un rire sournois alors que son frère se rapprochait de lui
avec fureur, près à en découdre.
  - Paix mon frère ! Déclara-t-il.
Il se dépêcha de monter sur son cheval bien qu’il ne doutait pas de remporter le combat contre
son mollasson de frère, il se dérobait pourtant, car ne souhaitait aucunement se faire rabrouer
par son père lorsqu’il apprendrait leur escarmouche.
  - Cesse donc de te tracasser pour ces noces, poursuivit-il. Le mariage aura lieu et si, dans sa
bonté, le Seigneur accorde à notre père de nouveaux enfants, sois en heureux pour lui.
Il talonna sa monture et fonça au galop parmi les bois, ignorant les appels de son demi-frère
qui hurlait son nom.

                                                                                                            Coralie Martin

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